
La nouvelle politique commerciale des États-Unis change la donne
Au cours de la dernière décennie, le commerce mondial s’est structuré autour d’une promesse simple : produire en Asie, expédier depuis l’Europe, et livrer partout, souvent sans jamais mettre les pieds dans lesdits pays. Dans un tel contexte, des solutions comme Global-e et Glopal ont émergé pour simplifier cette équation côté front-end et cela a fonctionné… pendant un temps.
Mais cette ère est-elle révolue ?
L’annonce choc de la Maison-Blanche la semaine dernière, surnommée « Liberation Day », a introduit une série de nouveaux droits de douane, en vigueur depuis le 3 avril. Si les médias se sont principalement concentrés sur les niveaux tarifaires variables par pays, une autre décision majeure du président Trump, passée plus inaperçue, mérite l’attention : la suppression partielle de la règle dite du de minimis.
Jusqu’alors, un envoi par jour et par destinataire d’une valeur inférieure à 800$ était exempté de droits et taxes à l’importation. En février, le président a annoncé la suppression immédiate de cette exemption pour les articles fabriqués en Chine et à Hong Kong. Après quelques jours de confusion, l’exemption a été temporairement révisée pour permettre la mise en place des processus d’inspection et de perception. Elle prendra fin le 2 mai.
Les principales cibles sont les géants comme Temu ou Shein, mais cela concerne environ 1,4 milliard de colis livrés chaque année à des clients américains par des vendeurs internationaux, dont 40% contiendraient des produits fabriqués en Chine ou à Hong Kong. À compter de mai, tous ces colis seront soumis aux nouveaux tarifs douaniers, quel que soit le lieu d’expédition.
Autre point crucial : si un article est expédié depuis l’UE (droit minimum de 20%) ou le Royaume-Uni (10%), mais a été fabriqué en Chine, le tarif chinois s’applique.
Quelques exemples des nouveaux droits pour les expéditions directes depuis la Chine :
Tableau 1: exemples des nouveaux droits de douane pour une expédition transfrontalière DTC, lorsque le pays d’origine est la Chine
Produit(HS code) | Prix de vente retail | Droit d’importation de base | Tariff d’import universel* | Tarif supplémentaire | Total des frais d’import ** |
T-shirt en coton(6109.10) | $10 | 16.5% | 20% | 34% | $7.05 |
Sac à main(4202.21.90.00) | $750 | 9% | 20% | 34% | $472.50 |
Perceuse électrique (8467.21.00.10) | $150 | 1.7% | 20% | 34% | $83.55 |
Plaquettes de freins (8708.30.50) | $125 | 2.5% | 20% | 34% | $78.13 |
Raquette de tennis(9902.17.70) | $200 | 2.9% | 20% | 34% | $113.20 |
* Introduits par le président Trump le 2 avril, ces droits s’appliquent à toutes les importations, à l’exception de quelques cas spécifiques. À compter du 4 mars 2025, le taux de droit additionnel sur les produits en provenance de Chine passe à 20 %, selon la classification HTSUS 9903.01.24.
** Montants totaux des droits d’importation applicables aux colis expédiés individuellement vers des clients aux États-Unis à partir du 2 mai 2025. Avant cette date, tous les articles ci-dessus étaient exemptés en vertu de la règle de minimis. Les données sont fournies à titre illustratif uniquement et peuvent être modifiées.
Nous vivons actuellement un véritable tournant : l’hypothèse selon laquelle le commerce transfrontalier est peu contraignant, peu coûteux et hautement rentable n’est peut-être plus valable. De nombreuses marques se sont tournées vers des plateformes de commodité, des solutions tierces qui simplifient les ventes internationales en gérant les prix locaux, la conformité fiscale et la logistique transfrontalière. Si ces plateformes permettent d’accéder rapidement à une portée mondiale, elles impliquent également des compromis.
Avec la hausse des droits de douane et la complexification des chaînes d’expédition, compter sur ces intermédiaires pourrait ne plus être viable économiquement pour de nombreuses marques. On doit désormais s’attendre à des délais de livraison plus longs, dus à de nouveaux régimes d’inspection, à une augmentation des coûts de traitement des commandes, et à une perte de visibilité et de contrôle sur l’expérience client de bout en bout. Les marques doivent donc gagner en agilité pour s’adapter rapidement aux changements réglementaires, et obtenir une visibilité plus fine sur leurs opérations pour maintenir leur efficacité et leur maîtrise.
Un facteur clé à considérer : les droits de douane sur les produits livrés à des clients américains depuis des stocks situés aux États-Unis (entrepôts ou magasins) sont calculés sur le coût de revient, et non sur le prix de vente final. Cela peut avoir un impact significatif pour les marques, notamment dans les secteurs de la mode, de la chaussure ou des accessoires, où le coût représente en moyenne environ 25 % du prix de vente (voir tableau ci-dessous pour une estimation des écarts potentiels).
Tableau 2: exemples des nouveaux droits de douane pour une expédition transfrontalière directe au consommateur, lorsque le pays d’origine est la Chine, mais que le produit est d’abord expédié vers un stock situé aux États-Unis
Produit(HS code) | Prix de vente retail | Valeur douanière estimée* | Valeur des nouveaux tarifs appliqués au prix retail** | Tarif sur la valeur douanière estimée | Économie unitaire estimée |
T-shirt en coton(6109.10) | $10 | $2.50 | $7.05 | $1.76 | $5.29 |
Sac à main(4202.21.90.00) | $750 | $112.50 | $472.50 | $70.88 | $401.63 |
Perceuse électrique (8467.21.00.10) | $150 | $45.00 | $83.55 | $25.07 | $58.49 |
Plaquettes de freins (8708.30.50) | $125 | $43.75 | $78.13 | $27.34 | $50.78 |
Raquette de tennis(9902.17.70) | $200 | $50.00 | $113.20 | $28.30 | $84.90 |
*Valeur douanière des articles lorsqu’ils sont expédiés vers un entrepôt situé aux États-Unis, estimation à des fins illustratives uniquement, les coûts réels varient selon le l’enseigne et le produit.
** Les chiffres présentés sont fournis à titre indicatif uniquement et ne doivent pas être considérés comme exacts ni actuels.
Par conséquent, la logistique localisée sur le sol américain, autrefois difficile à justifier pour certains détaillants, pourrait désormais devenir une nécessité stratégique pour beaucoup.
Les enseignes disposant déjà d’un réseau de magasins ou d’entrepôts aux États-Unis bénéficient d’un avantage concurrentiel évident. L’enjeu est ici de s’assurer que leur technologie d’orchestration des commandes intègre les nouvelles règles. Par exemple, si aujourd’hui les règles d’orchestration privilégient l’expédition d’une commande passée à Boston depuis un entrepôt en France (car le magasin de Miami ne dispose plus que de quelques unités), il sera probablement plus pertinent, demain, de livrer depuis le magasin de Miami. Les règles d’orchestration doivent donc être suffisamment dynamiques et intelligentes pour prendre, commande par commande, la décision optimale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents et d’une vision consolidée des stocks.
Les enseignes ne disposant pas encore de présence physique aux États-Unis font face à un défi plus complexe : doivent-elles envisager dès maintenant la mise en place d’un entrepôt sur le territoire américain ? Les avantages sont clairs en matière de réduction des droits de douane sur les expéditions directes au consommateur, mais cela s’accompagne aussi de risques commerciaux et de défis de gestion liés à l’introduction d’un stock dédié supplémentaire.
De manière générale, les enseignes devraient repenser leur stratégie opérationnelle en adoptant une approche “local-first”. Si l’attention actuelle se porte sur les États-Unis, cette logique est pertinente dans tout marché où les politiques commerciales sont susceptibles d’évoluer rapidement et de manière imprévisible.
Cela implique :
- Maintenir les stocks à la fois dans les centres de distribution et les magasins, en s’appuyant sur une orchestration intelligente pour sélectionner systématiquement la meilleure option
- Prendre en compte un éventail de facteurs élargi pour déterminer la solution d’exécution optimale : valeur des marchandises, coût d’expédition, promesse client et, plus que jamais, niveaux de droits de douane
- Favoriser les livraisons locales autant que possible, en n’utilisant la livraison transfrontalière qu’en solution de repli, afin d’optimiser la rapidité, la rentabilité et la conformité face à l’évolution des régulations commerciales
- Se concentrer sur les éléments clés de la promesse client : accélérer et fiabiliser les livraisons, simplifier les retours et aligner les choix logistiques avec les objectifs de durabilité
La gestion ou la possession d’une infrastructure de distribution locale aux États-Unis n’est pas chose aisée. Prenons l’exemple d’un acteur de la mode entrant sur le marché américain : il peut opter pour une approche progressive, débutant par la vente en gros à une ou plusieurs grandes enseignes de grands magasins américains afin d’établir sa présence. Ensuite, en s’associant à un prestataire logistique local spécialisé dans le commerce transfrontalier, tel que Refined Networks ou Valet Seller, l’enseigne pourra lancer ses ventes DTC via son propre site e-commerce et dynamiser les ventes en gros grâce à une présence sur les marketplaces. En parallèle, l’ouverture de magasins physiques pourra constituer un canal de distribution initial ou complémentaire.
Ces services transfrontaliers « localisés » offrent non seulement une solution concrète à la suppression imminente de l’exemption de minimis, mais ils permettent également d’optimiser les conversions e-commerce, grâce à des livraisons et retours plus rapides et moins coûteux que ceux proposés par les solutions « internationales » comme Global-e, tout en ouvrant l’accès aux principales marketplaces des grands magasins américains.
Il n’est plus possible de considérer la logistique comme une simple fonction de support. Les bouleversements tarifaires ne font que révéler une vérité fondamentale : les marques résilientes, prêtes pour l’avenir, s’appuient sur une infrastructure intelligente, et non sur des raccourcis.
Les marques leaders qui repensent leur exécution, intègrent de la flexibilité dans leurs opérations et investissent dans des bases digitales robustes ne feront pas que surmonter cette disruption. Elles établiront les nouveaux standards.
Le monde change. Notre industrie doit évoluer avec lui.
Par Romulus Grigoras, PDG de OneStock